Découper le temps qui passe
L’heure tourne inexorablement, elle avance sans cesse et nos vies prient dans ses rouages incessants n’ont de cesse d’essayer coute que coute de s’y conformer, de s’y confronter. Tout va toujours plus vite, le temps inexorable continu sans course et nous laisse exsangue de ne pouvoir le suivre aveuglement. Dans la superficie de toutes ses révolutions, nous avançons constamment dans son flux, dans sa course folle et l’heure tourne, toujours, sans cesse, sans jamais se retourner ou même sans jamais nous attendre. Où sommes-nous dans cette trame sempiternelle ?
Qu’elle est ce temps qui nous enferme dans son repère infini ? Qu’elle est cette heure qui nous pousse toujours plus à aller plus vite ? Enfermer dans ce temps qui jamais ne s’arrête, nous n’avons plus de temps pour faire quoi que se soit. Le temps est devenu notre norme, notre repère vital ! Sans temps nous n’existons plus, sans heure nous ne sommes plus rien mais comment se fait-il que le temps soit devenu si important dans nos vies ?
Il existe énormément de notions, d’idées et de thermes ou de mots en notre monde qui sont basés sur l’heure sans pour autant se rendre véritablement compte de tout son poids. Le temps à travers notre manière de le percevoir est devenu un pilier qui soutient tout l’édifice de notre société contemporaine. L’heure et donc le temps sont devenus les repères essentiels dans toute notre vie dites civilisées. En effet, nous les enfants du progrès et de la science, avons gagné grâce à notre rationalité le pouvoir de découper le temps qui passe, en années, en mois, en journées, en heures, en minutes puis en secondes et ainsi inexorablement nous avons fini par ne plus vivre l’instant présent mais seulement son pendant, c’est-à-dire à travers un temps imaginaire un temps sociable, un temps idéalisé.
Dans ce temps imaginaire et donc à travers cette heure qui le symbolise, toutes ces idées sont devenues reine et roi d’un royaume où plus rien n’existe réellement si ce n’est seulement par leur simple représentation. Sans représentation notre société civilisé n’existerait plus car tout repose sur les notions, les termes, les mots et les idées qui la représente, l’explique et essaye de la rendre un peu moins sauvage, un peu moins effrayante, un peu moins naturelle et donc toujours plus humanisé, plus idéalisé, plus rationnel et in fine plus intellectualisé.
Nous sommes passé d’un monde charnel, sensitif, sauvage, réel envers une réalité où nous nous sommes peu à peu éloignés de tout ce rapport que nous avions avec le monde extérieur afin d’entrée dans un monde idéalisé, humanisé, mentalisé où tout est devenu autre, à travers toutes les représentations que nous nous en sommes faits. D’une réalité tournée totalement vers l’extérieur, nous sommes passé à son extrémité qui est un royaume plus intériorisé, plus conscientisé. Ainsi la pensée a pris le pas sur l’expérience directe et la représentation est devenue la norme et le repère de notre monde tout en nous coupant hélas de l’expérience de notre réalité.
A partir du moment où nous nous sommes coupés de la réalité telle qu’elle est par rapport à la réalité telle que l’on se la représente, nous nous sommes coupés du réel, du naturel, de l’authentique et nous sommes rentrés de plein fouet dans toute la superficialité de toutes nos représentations.
Toute la représentativité du temps est devenue à ce moment-là, prépondérante car tout en ne pouvant plus la vivre directement, elle en restait quand même essentielle à nos vies puisque tout se base continuellement sur elle, même si à cet instant nous ne pouvions plus le comprendre puisque nos représentations même nous en coupaient l’expérience.
Depuis ce temps, nous sommes passés d’un temps circulaire où nous étions le centre à un temps linéaire où nous perdions tout repère car il n’était plus basé sur notre propre expérience du réel mais sur une représentation basée sur des repères conceptuels et ainsi couper de l’expérience même. Ainsi pouvoir comprendre ces différences de conceptions temporelles peut nous permettre d’atteindre une compréhension globale du malheur que l’on vit depuis et aussi, surtout, du bonheur que l’on peut redécouvrir dans notre pouvoir de vivre enfin du bon temps à travers la découverte de la bonne heure.
Nos conceptions contemporaines sont entièrement orientées et basées dans une perspective linéaire ou l’heure qui passe possède un avant puis un après tout en avançant sans fin ni autre repère. Cette base se dit linéaire car elle symbolise une droite qui jamais ne s’arrête générant ainsi une fuite infinie ou on peut le comparer au mouvement de notre vie actuelle qui jamais ne s’arrête.
Dans cette perspective il n’y a pas de fin et corrélativement il n’y a pas de début et donc pas de repère, pourtant le temps et donc l’heure que l’on vit reste notre unique repère. Sans repère nous ne savons plus où ni comment nous diriger et ainsi nous ne pouvons pas aller bien loin puisque nous sommes perdus dans toutes nos représentations.
Dans cette vision imaginaire le temps existe non dans ce que l’on vit mais dans comment on le vit, dans comment on l’interprète, dans comment on l’utilise et ainsi il devient une notion abstraite qui nous enferme dans une conception qui nous coupe de notre réalité. Couper de notre propre rapport à la réalité, le temps n’est plus ce qu’il est comme tout ce que nous vivons, alors tout prends le poids de choses qui n’existent pas réellement et nous plombent à les porter alors qu’ils sont inutiles puisqu’inexistants.
Le malheur de nos vies est dans ce poids imaginaire que nous portons tous et tant que nous continuerons de le porter nous resterons emporter par un temps qui n’existe pas. Dans ces heures sombres ou le temps n’existe plus puisque d’une certaine manière nous en sommes coupées, nous nous coupons alors de notre propre expérience de vie.
Nous nous sommes ouverts au royaume intérieur, à la conscience, à l’intelligence mais nous avons oublié le plus important qui est d’utiliser toute cette connaissance acquise afin d’être heureux et si toute notre science, tout notre progrès technique nous apporte que du malheur, c’est que nous l’utilisons d’une manière non appropriée. N’est-il pas de temps d’agrandir nos conceptions à travers le criterium de se que nous vivons et non plus à travers le prisme de ce que nous croyons ?
Nous sommes face à un hiatus, nous comprenons que notre fonctionnement ne nous rend pas heureux car il nous a couper de l’expérience directe de notre réalité, pourtant il nous a apporté la connaissance, la science, le progrès mais s’il est mal utilisé, nous sommes voués au malheur éternel.
La science sans conscience n’est que ruine de l’âme et c’est exactement ce que nous vivons car nous n’avons plus la conscience de ce que nous faisons, nous avons seulement conscience que cela ne va pas et que cela ne peut plus durer. Notre souffrance collective est le marqueur le plus terrible dans nos vies civilisées qui nous indique sans cesse la ruine collective de toutes nos Âmes.
Vivre mais pourquoi quand seule la souffrance règne ? C’est là que la conscience seule peut nous aider à reprendre le dessus de nos vies en perdition. Seule notre prise de conscience sur tout ce qui ne va pas peut nous permettre de reprendre la main sur notre temps ici-bas. Oui, le temps passe mais que faisons-nous de ce temps ?
Faisons-nous comme tous les autres ? Comme tout ce que l’on nous a inculqué ? Car pour tous, le temps c’est de l’argent ! Le temps finalement c’est toujours autre chose alors il ne faut surtout pas perdre son temps ! Ce temps-là pourtant, c’est à chacun de pouvoir le vivre sinon, en effet on le perd, on se perd.
Et si on cherchait à retrouver un peu du bon temps non pour ce qu’il représente mais juste pour tout ce que l’on peut découvrir quand on ne lui ferme pas la porte à travers des montagnes de conceptions qui l’enchainent à être autre chose et donc à ne jamais être ce qu’il est. Et si on faisait pareil pour soi : soit ne plus s’enfermer dans des montagnes de conceptions qui nous enchainent à être autre chose et donc à ne jamais être ce que l’on est.
Et si le temps était juste un miroir qui nous servait pour toujours mieux se voir et que comme finalement on se sait perdu, on a perdu de vue que nous sommes toujours cet instant qui même s’il fuit, il restera là, sans cesse pour nous montrer enfin ce que c’est la bonne heure à vivre, la bonne à heure à sentir afin de pouvoir juste vivre le bonheur d’être soi.